Depuis l’été 2023, les bateaux de plaisance désertent la Corse. Les chiffres sont alarmants : -27 % d’escales de plaisance sur l’ensemble de l’île entre juin 2023 et mars 2025. Les ports de Bonifacio, Calvi et Ajaccio, autrefois saturés, laissent désormais place à des pontons vides. Les capitaineries tirent la sonnette d’alarme, mais les bateaux, eux, ne reviennent pas.
Des voiles qui s’éloignent progressivement de la Corse
Tous les types de bateaux de plaisance désertent progressivement les côtes corses. Les voiliers de croisière, mesurant entre 10 et 18 mètres, longtemps préférés par les familles européennes, sont de moins en moins nombreux dans les ports de l’île. Les catamarans, prisés pour leurs grands espaces et souvent loués avec skipper par des groupes étrangers, ont fortement réduit leurs escales, notamment à Ajaccio et Porto-Vecchio.
Plus grave encore, les yachts de 20 à 40 mètres, véritables vitrines du tourisme de luxe, contournent désormais Bonifacio ou Calvi, qui étaient pourtant des incontournables en Méditerranée occidentale. Même les petits semi-rigides, loués à la journée par les vacanciers en villa, restent moins visibles dans les criques. L’étau réglementaire se resserre, et les prix découragent.
Des frais en forte hausse qui refroidissent
Les tarifs des ports corses explosent depuis deux ans. Un simple voilier de 12 mètres paie aujourd’hui autour de 105 euros la nuit à Bonifacio en haute saison, contre 85 euros il y a deux étés. Pour un catamaran de 14 mètres, il faut compter 130 à 140 euros la nuit à Ajaccio. Un yacht de 30 mètres peut atteindre 480 euros à Calvi, sans même inclure les frais d’eau, d’électricité ou de conciergerie.
À ces coûts déjà élevés s’ajoutent les nouvelles taxes sur les mouillages dans les zones Natura 2000 — entre 15 et 35 euros par jour selon la taille du bateau — et des prix de carburant et d’avitaillement bien supérieurs à ceux de la Sardaigne voisine.
La concurrence prend la mer
Pendant que la Corse durcit l’accès à ses côtes, la Sardaigne, la Croatie ou même la Grèce déploient le tapis rouge. En 2025, ces destinations proposent des frais portuaires de 20 à 30 % moins élevés. Les réservations s’y font en ligne, les services sont modernisés, et l’accueil y est perçu comme plus fluide. Résultat : les plateformes de charter basées à Rome, Marseille ou Split retirent progressivement la Corse de leurs circuits principaux.
Le cocktail explosif des réglementations et des tensions
Les professionnels pointent du doigt les nouvelles restrictions imposées par la Collectivité de Corse sur les mouillages autour des zones Natura 2000. Officiellement, il s’agit de préserver la posidonie. Officieusement, la mesure dissuade les capitaines étrangers qui préfèrent désormais les Baléares, la Croatie ou même l’Égypte.
Les tensions avec certains élus locaux, qui dénoncent un « tourisme envahissant », n’aident pas. Cette hostilité grandissante finit par avoir un effet répulsif. Des armateurs italiens et allemands ont carrément retiré l’île de leurs circuits. Le message est clair : la Corse ne veut plus des bateaux ? Alors les bateaux partent.
Une perception toxique
Aux yeux des professionnels de la plaisance, la Corse devient une destination à risque. Et une ambiance parfois jugée hostile. Ce cocktail est létal pour un secteur fondé sur l’anticipation, la logistique et la confiance.
Les plaisanciers, eux, ne s’acharnent pas. Ils changent de route. Et avec eux disparaît toute une économie flottante : capitaines, hôtesses, techniciens, restaurateurs, fournisseurs de pièces détachées.
Un effondrement des locations saisonnières
L’impact est direct sur le marché des locations touristiques. En Haute-Corse, les villas avec vue sur mer subissent des taux d’occupation historiquement bas : 46 % en août 2024, contre 79 % en 2022. Les appartements de standing à Porto-Vecchio et Saint-Florent restent sur le marché, invendus ou non loués.
Les professionnels de l’immobilier touristique parlent d’un retournement brutal. Moins de plaisanciers, c’est moins de familles à accueillir, moins de retours réguliers, et surtout moins de revenus pour les propriétaires qui comptaient sur les hautes saisons.
Une économie locale en surchauffe
Les retombées touchent tous les secteurs : avitaillement, maintenance navale, conciergeries, sociétés de charter, loueurs de bateaux semi-rigides. À Propriano, deux sociétés de location de voiliers ont fermé en février 2025. À Calvi, les restaurants du quai d’honneur enregistrent une chute de 30 % du chiffre d’affaires estival.
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La désaffection n’est pas passagère. Elle devient structurelle. Et les pertes s’étendent au-delà de la côte : guides touristiques, transporteurs privés, producteurs locaux subissent également le contrecoup. Le tourisme nautique irriguait tout un tissu économique. Son repli affame l’intérieur.
Les autres destinations profitent du vide
Pendant ce temps, la Sardaigne voisine explose ses records. Les ports de Porto Cervo, Olbia et La Maddalena annoncent +22 % de fréquentation en 2024. Idem pour la Croatie, qui modernise ses infrastructures portuaires et simplifie l’accueil des navires étrangers.
Là où la Corse restreint, ses voisines accueillent. Là où la Corse complexifie, d’autres fluidifient. L’effet domino est net : les flux migrent vers des zones plus hospitalières et économiquement plus agressives.
Vers un été 2025 en Corse sous surveillance
Les réservations pour juillet-août 2025 accusent déjà un retard inquiétant. Les loueurs de bateaux signalent une baisse de 35 % des demandes. Les agences immobilières se réorganisent. Certaines baissent les prix de 20 %. D’autres n’ouvrent même plus leurs plateformes à la réservation courte durée.
Si aucune inflexion politique ou logistique ne survient d’ici mai, la Corse pourrait vivre son premier été déficitaire depuis 2014. Ce ne serait plus une alerte. Ce serait une rupture.
Le coût d’un été sans bateaux pour la Corse
Moins de bateaux, c’est moins de touristes à fort pouvoir d’achat, moins de réservations dans les villas avec vue sur mer, et moins d’activité pour les agences locales de location courte durée. Les conciergeries qui géraient des propriétés pour des plaisanciers réguliers voient leur carnet de clients se vider.
Les propriétaires de biens touristiques dans les zones côtières, notamment à Saint-Florent, Porto-Vecchio et Calvi, commencent à brader leurs prix. Certains n’ouvrent même plus leurs plateformes de location, anticipant une saison blanche. Le taux d’occupation des biens de standing a chuté à moins de 50 % en août 2024, un record négatif depuis une décennie.
Une île qui ferme la mer
Ce recul n’est pas uniquement une crise touristique. C’est une fracture politique. En opposant écologie de principe et développement économique concret, la Corse se prive d’un levier vital. À force de vouloir filtrer les visiteurs, elle perd ses ambassadeurs flottants.
L’île semble oublier que la mer, ici, n’est pas un décor : c’est une artère. En la fermant, elle provoque une embolie.